
Peu connue du grand public, la Commission administrative de règlement sur la relation de travail lancée en 2013 a pour but de rendre des décisions contraignantes sur la qualification à donner par les parties à leur relation de travail, dans le cadre d’un «ruling social »
Pour rappel, la société DELIVEROO exploite une plateforme électronique permettant aux consommateurs de commander des plats préparés dans un ensemble de restaurants ; elle assure, grâce à des livreurs à vélo, la livraison de ces plats.
Suite à l’annonce faite par DELIVEROO de ne plus faire appel qu’à des indépendants à partir du 1er février 2018 ; un coursier, qui initialement travaillait comme livreur Deliveroo mais salarié de la Smart, a saisi la Commission le 9 février 2018 afin de connaître son avis sur la qualification à donner à la future relation de travail envisagée.
Aux termes de son examen, la Commission renvoie à la présomption prévue à l’article 337/1, §1er, 3°, de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006 qui énumère 9 critères (précisés par l’arrêté royal du 29 octobre 2013 dans le secteur des transports de choses pour compte de tiers). Si plus de 5 critères sur les 9 sont remplis, la nature de la relation de travail est présumée être salariée.
La Commission estime que la présomption s’applique au transport de choses qui s’effectue à vélo. Passant en revue les critères, elle constate que 8 critères sur les 9 prévus par l’arrêté royal du 29 octobre 2013, sont remplis de manière manifeste et elle en conclut donc à une présomption de contrat de travail.
Sur base des critères généraux, la Commission va ensuite examiner, un à un, les éléments susceptibles de renverser la présomption à savoir :
1) Volonté des parties
La volonté est incertaine. Par le passé, le livreur était occupé dans les liens d’un contrat de travail via la SMART. Pour la Commission, le fait que, à partir du 1er février 2018, DELIVEROO souhaite occuper ses livreurs dans le cadre d’une relation indépendante, ne suffit pas à démontrer que cela soit également la volonté du livreur, que du contraire, puisque le livreur n’a pas marqué son accord sur une qualification d’indépendant.
2) Liberté d’organisation du temps de travail
Sur base des « captures d’écran », la Commission constate que la liberté de choix des sessions pendant lesquelles le livreur serait amené à travailler est toute relative. En effet, il apparaît que dans le système proposé par DELIVEROO, le livreur est contraint de réserver, et de soumettre à l’accord de DELIVEROO, plus d’une semaine à l’avance, les plages horaires pendant lesquelles il devrait être à disposition de la « plateforme » (sans pour autant avoir la garantie de disposer effectivement de commandes à exécuter pendant ces périodes). En outre, le livreur court le risque de perdre une éventuelle priorité dans le choix des sessions ultérieures en cas de non-connexion pendant les plages choisies de même qu’en cas de réservation de plages horaires ne correspondant pas aux périodes les plus favorables à l’activité de DELIVEROO.
Sur base de ces différents éléments, la Commission constate que les modalités de réservation des sessions de même que les conséquences associées au fait de ne pas être disponible pendant les plages acceptées, sont très contraignantes. DELIVEROO imposent, de facto, au coursier de rester à disposition de la plateforme pendant toutes les plages qu’il a réservées plus d’une semaine à l’avance et qui ont entretemps été acceptées par DELIVEROO.
En conclusion, les contraintes qui doivent être acceptées pour garder un bon ranking sur la plateforme et ainsi conserver des possibilités effectives de travail, sont incompatibles avec la liberté d’organisation du temps de travail caractéristique du contrat d’indépendant.
3) Liberté d’organisation du travail et possibilité de contrôle hiérarchique
Malgré le fait que la convention proposée par DELIVEROO prévoit « un droit de faire appel à un remplaçant », il apparaît qu’en pratique, la réception de la commande et son exécution ne sont possibles que par une personne en possession du smartphone du livreur lui-même. En outre DELIVEROO se réserve un droit de regard sur la personne de l’éventuel remplaçant.
Par ailleurs, la Commission relève plusieurs possibilités d’instructions et/ou de contrôle incompatibles avec une qualification de relation de travail indépendant :
– « très faible liberté d’organisation du travail (la prestation est définie comme « le retrait de plats et/ou boissons (« articles commandés ») auprès de restaurants ou autres partenaires dont l’identité… aura été communiquée par le biais de la DELIVEROO rider app., ainsi que la livraison à vélo de ces articles commandés aux clients de DELIVEROO à l’adresse qui aura été communiquée par l’App. ;
– Le livreur serait tenu par les standards de sécurité communiqués et « mis à jour de temps à autre » par DELIVEROO ;
– Le livreur serait tenu par des instructions précises quant à la manière de prendre livraison des « articles commandés » (voy., par exemple, capture d’écran « aller au restaurant »…. : « entrer par la porte take away (sur la gauche) et non par la porte du restaurant. Vous pouvez y déposer votre vélo ») ;
– Faculté de résilier le contrat à tout moment moyennant un préavis d’une semaine ;
– Le livreur devrait faire en sorte que DELIVEROO puisse, au moyen de la technologie GPS, suivre la progression de la commande… ». ;
La Commission rappelle que le « lien de subordination qui est la caractéristique du contrat de travail existe dès qu’une personne peut, en fait, exercer son autorité sur les actes d’une autre personne ». Pour la Commission, l’utilisation de la technologie GPS démontre que DELIVEROO se réserve des possibilités de contrôle exorbitantes par une faculté de résilier le contrat dans un délai très court.
La Commission conclut ainsi que les modalités proposées sont incompatibles avec une qualification de la relation de travail indépendant.
Cette décision de la Commission est importante car elle obligera vraisemblablement DELIVEROO à revoir sa manière de fonctionner… et encouragera les coursiers DELIVEROO à solliciter la requalification de leur relation de travail.
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