La présente note dresse le panorama des différents correctifs et solutions s’offrant aux créanciers et débiteurs dont la situation financière est impactée par la crise du Covid-19.
Dans la mesure où l’existence de débiteurs défaillants est susceptible de générer l’insolvabilité des créanciers, qui seront dès lors confrontés aux mêmes problèmes que leurs débiteurs, l’analyse peut s’opérer tant de la perspective du débiteur insolvable que du créancier en difficulté.
Pour votre facilité, la présente note suit la chronologie des questions suivantes :
Seront ainsi abordés successivement, les aides mises en place par l’Etat Fédéral et la Région de Bruxelles-Capitale (1.), les dettes annulées ou faisant l’objet d’un report (2.), l’impact des arrêtés-royaux pris dans le cadre de la crise du Covid-19 ayant un impact sur les procédures civiles (3.I.a) et le moratoire bénéficiant aux entreprises débitrices (3.I.b), ainsi que les solutions issues des pratiques contractuelles (3.II.a), du droit commun (3.II.b) et offertes par le Livre XX du Code de droit économique (3.II.c) afin d’apaiser la relation créancier-débiteur. Enfin, la présente note se clôturera par un bref exposé des questions les plus fréquentes en la matière (4.).
1. Toutes les aides ont-elles été sollicitées ?
L’Etat Fédéral et les Régions ont adopté une multitude de mesures visant à venir en aide aux entreprises impactées par la crise du Covid-19.
Relevons les principales aides suivantes octroyées par l’Etat Fédéral et la Région de Bruxelles-Capitale :
- La prime Covid-19 de 4.000 euros, dont peuvent bénéficier les entreprises de moins de 50 équivalents temps plein disposant d’un siège d’exploitation dans la Région de Bruxelles-Capitale et actives dans certains secteurs d’activité ; Pour les exploitants de taxis (disposant d’une autorisation délivrée par Bruxelles Mobilité avant le 19 mars 2020) : prime unique de 3.000 euros ; Pour les entreprises sociales agréées ayant introduit une demande de mandat avant le 30 avril 2020, actives dans un secteur d’activité admis : prime unique de 4.000 euros.
- Le droit passerelle (demande à introduire via votre caisse d’assurances sociales pour travailleurs indépendants), pour les indépendants ayant dû interrompre totalement ou partiellement leurs activités, avec un minimum de 7 jours calendrier consécutifs. La prestation financière mensuelle s’élève à 1.614,10 euros pour les indépendants avec charge de famille ou à 1.291,69 euros pour les indépendants sans charge de famille ;
- Obtenir un crédit complémentaire à des taux préférentiels :
- Pour le secteur Horeca : prêts à taux réduit via la Société Régionale d’Investissement de Bruxelles, pour autant que la société occupe au moins 50 personnes à temps plein ;
- Microcrédits de trésorerie de maximum 15.000 euros à des taux réduits via BRUSOC aux indépendants et aux très petites entreprises ;
- Prêts à taux réduit pour les entrepreneurs-salariés hébergés par les coopératives d’activités non éligibles aux primes visées au premier tiret supra;
- Le prêt « Proxi » (via le fonds bruxellois de garantie), mobilisant l’épargne privée et pouvant être sollicité par les PME afin de consolider leurs fonds propres à des coûts réduits, tout en permettant aux prêteurs de bénéficier d’un avantage fiscal ;
Ces mesures sont cumulatives
Outre ces mesures, il est conseillé de :
- Négocier avec votre propriétaire une diminution du loyer au regard de l’impossibilité d’exploiter votre commerce suite aux mesures de confinement ordonnées par le Gouvernement ;
- Consulter votre courtier pour vérifier que, dans vos polices d’assurances, vous n’êtes pas couverts contre les pertes d’exploitation subies en raison d’une fermeture administrative de votre établissement ;
- Examiner avec votre comptable pour l’adoption de vos comptes annuels 2019 (exercice fiscal 2020) si, au regard de l’adoption prochaine de l’avant-projet de loi adopté en Conseil des ministres, vous n’auriez pas intérêt à imputer vos pertes d’exploitation prévisionnelles de l’année 2020 sur les bénéfices de l’année 2019 (« réserve COVID-19 ») ou constituer une réserve de « reconstitution» pour les bénéfices des années 2021 à 2023, laquelle sera comptabilisée parmi les réserves immunisées au passif du bilan.
Il est vivement conseiller de prendre contact/conseil auprès de votre comptable, courtier ou avocat pour vous assister dans une négociation avec vos créanciers et solliciter toutes les aides financières, fiscales et bancaires mises sur la table par le Gouvernement.
2. La dette est-elle toujours due et actuelle ?
Par ailleurs, les autorités ont pris différentes mesures afin de soit supprimer, soit reporter certaines dettes fiscales et sociales, en considération de la diminution des recettes générées. Des accords ont aussi été négociés avec le secteur bancaire pour octroyer des reports de paiement de crédit aux entreprises en difficulté qui en font la demande.
Parmi ces mesures de faveur, nous pouvons notamment citer :
- La taxe pour l’occupation d’unités d’hébergement par des touristes n’est pas due pour la période allant du 1er janvier 2020 au 30 juin 2020 ;
- Le délai de paiement du précompte immobilier qui est dû pour l’exercice d’imposition 2020 est augmenté de deux mois et est porté à 124 jours ;
- La taxe sur les permis d’exploitation d’un service de taxis et celle sur les permis d’exploitation d’un service de location de voitures avec chauffeur ne sont pas dues pour l’exercice d’imposition 2020 ;
- Le report du délai d’introduction des déclarations à l’impôt des sociétés, à l’impôt des personnes morales, à l’impôt des non-résidents-sociétés et des délais de paiement en matière d’impôts sur les revenus et de précompte professionnel ;
- Le report des dates de dépôt de la déclaration périodique à la TVA, de la déclaration spéciale à la TVA, de la liste annuelle des clients assujettis, du relevé à la TVA des opérations intracommunautaires et de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée ;
- La possibilité pour certains employeurs impactés par la crise d’obtenir un report de paiement des sommes dues à l’ONSS et de négocier des termes et délais amiables ;
- L’engagement des banques à octroyer des reports de paiement sur les crédits des entreprises en difficulté, pendant un maximum de six mois ;
- La possibilité, pour le preneur d’un crédit hypothécaire, d’obtenir, moyennant accord du prêteur, la prolongation de la durée ou la suspension temporaire de paiement des amortissements du capital emprunté et de ses intérêts.
3. La dette est-elle réclamée dans le cadre d’une procédure judiciaire imminente ?
I. Si oui, quel est l’impact de la crise du Covid-19 sur la situation
Face à la situation d’urgence, les procédures judiciaires ont été adaptées afin de prendre en considération d’une part, la situation particulière tenant aux difficultés des entreprises et, d’autre part, la nouvelle organisation temporaire des cours et tribunaux.
Si la dette est réclamée dans le cadre d’une procédure judiciaire introduite avant l’apparition de la situation de crise, cette procédure pourra être impactée par les différents arrêtés royaux adoptés depuis lors.
De même, si le créancier a l’intention d’introduire une nouvelle procédure afin d’obtenir paiement, il devra prendre en compte les mesures spécifiques adoptées par le gouvernement, celles-ci étant susceptibles d’influer l’opportunité d’introduire cette procédure dans les conditions actuelles.
A.Prolongement des délais de prescription et autres délais pour introduire une action devant un tribunal civil
En vue d’amortir le travail des juridictions, en raison de leur organisation singulière, tout en évitant de priver le demandeur de ses droits, les délais de prescription et les autres délais pour introduire une demande en justice ont été prolongés de plein droit.
L’arrêté-royal n°2 du 9 avril 2020 prévoit en effet que les délais de prescription et autres délais pour introduire une action devant un tribunal civil expirant à partir du 9 avril jusqu’au 17 mai 2020 sont prolongés de plein droit pour une durée d’un mois jusqu’au 17 juin 2020. Ces délais de prescription renvoient aux délais qui, en application de l’article 2244 du Code civil, sont interrompus par une citation. L’arrêté prévoit aussi que les délais de procédure ou pour exercer une voie de recours qui expirent au cours de cette même période sont, eux aussi, prolongés d’une durée d’un mois après l’issue de cette période.
Si une audience a déjà été fixée, mais que les délais d’échange des conclusions ont eux aussi été prolongés de telle sorte que le dernier délai expire moins d’un mois avant l’audience, l’audience est alors remise de plein droit à la première audience disponible après l’expiration du dernier délai.
Le créancier, inquiet du sort de sa créance en raison du rapprochement de la date de sa prescription, pourra donc bénéficier de ce prolongement forfaitaire de la durée de son droit.
B. Moratoire temporaire durant lequel toute entreprise débitrice est en principe protégée contre les saisies conservatoires et exécutoires et toute déclaration en faillite (ou dissolution judiciaire)
L’arrêté-royal n°15 du 24 avril 2020 instaure une mesure de protection en faveur des entreprises ressortant du Livre XX du Code de droit économique, dont la continuité est menacée par la pandémie de Covid-19 et qui n’étaient pas en état de cessation de paiement à la date du 18 mars 2020.
Le champ d’application de ce livre ayant été élargi, la notion d’entreprise y étant utilisée renvoie à toute personne physique qui exerce à titre indépendant une activité professionnelle, toute personne morale, ainsi que toute autre organisation sans personnalité juridique.
Quatre types de protection sont ainsi mises en place jusqu’au 17 juin 2020 (ou plus tard en cas de prolongation) :
- Les biens de ces entreprises, exclusion faite des biens immobiliers, ne peuvent faire l’objet d’aucune saisie conservatoire ou exécution et aucune voie d’exécution ne peut être poursuivie ou exécutée et ce, pour toutes les dettes de l’entreprise, y compris les dettes reprises dans un plan de réorganisation judiciaire homologué avant ou après l’entrée en vigueur de l’arrêté.
- Les entreprises ne peuvent être déclarées en faillite sur citation ou, s’il s’agit d’une personne morale, elles ne peuvent être dissoutes judiciairement, sauf sur initiative du ministère public ou de l’administrateur provisoire ou sur consentement du débiteur qui déciderait de faire aveu de faillite. Le transfert sous autorité de justice de tout ou partie de ses activités ne peut pas non plus être ordonné (voy. infra).
- Les délais de paiement repris dans un plan de réorganisation judiciaire et homologué avant ou pendant la durée du présent arrêté sont prolongés d’une durée égale à celle du sursis prévu dans le présent arrêté, le cas échéant avec une prolongation du délai maximal de 5 ans pour l’exécution du plan.
- Les contrats conclus avant l’entrée en vigueur de l’arrêté ne peuvent être résiliés unilatéralement ou par voie judiciaire en raison d’un défaut de paiement d’une dette exigible sous le contrat, à l’exception des contrats de travail.
Dans ces circonstances, les options s’offrant aux créancier afin d’obtenir paiement sont réduites, mais les protections offertes par l’arrêté-royal n° 15 ne sont pas pour autant absolues.
Tout d’abord, comme souligné ci-avant, l’arrêté-royal n° 15 ne vise pas les biens immeubles. Si un créancier dispose donc d’une sûreté immobilière, celle-ci ne sera pas impactée par l’arrêté-royal.
Ensuite, si un créancier estime qu’une entreprise débitrice ne tomberait pas dans le champ de l’arrêté-royal n° 15 parce qu’elle ne serait pas impactée par la crise sanitaire, il pourra demander au Président du tribunal de l’entreprise de décider de lever tout ou partie du sursis.
II. Si non, quelles mesures prendre pour apaiser la situation ?
A. Solutions issues des pratiques contractuelles
Afin d’apaiser la situation, des partenaires commerciaux ayant une relation durable pourront avoir recours à différents mécanismes contractuels afin d’endiguer les risques d’insolvabilité du débiteur et également d’améliorer ses liquidités.
Ainsi, les parties pourront avoir recours au contrat de consignation, pour autant que celui-ci soit adapté au secteur dans lequel le débiteur est actif. Ce contrat permet de mettre en vente des produits, sans devoir les préfinancer en les achetant au fournisseur car seuls les produits effectivement vendus seront considérés comme achetés à ce dernier. Avant d’être vendu, le produit est donc considéré comme étant en dépôt.
Cette solution permet de trouver un point d’équilibre entre le besoin d’un fournisseur d’écouler son stock et la réticence d’un vendeur d’en acheter l’entièreté si les flux de clients sont réduits, sans pour autant être inexistants. Des conditions contractuelles claires devront toutefois être rédigées afin d’éviter que le recours à ce mécanisme crée davantage de problèmes qu’il n’offre de solutions, comme par exemple en cas de perte ou de vol des marchandises.
De même, intégrer des clauses de réserve de propriété dans les contrats commerciaux pourrait s’avérer judicieux afin de sécuriser la situation du créancier. Du point de vue du débiteur, cela pourrait aussi se révéler utile si son créancier refuse de le fournir en marchandises s’il existe des doutes quant à sa capacité à les écouler. Cette clause dispose que la propriété des biens vendus ne sera transférée que moyennant le paiement intégral du prix. Vu que cette clause doit avoir été convenue par écrit au plus tard au moment de la livraison, il est prudent de la mentionner sur un contrat-cadre signé, dans les devis, les bons de commande et les factures et ce, avant même la livraison effective.
Enfin, rappelons qu’il est en tout état de cause possible de négocier des accords à l’amiable entre débiteur et créancier, comme par exemple des délais de paiement, le cas échéant avec l’aide d’un médiateur d’entreprise, et de faire éventuellement entériner ces accords devant les tribunaux (voy. infra).
B. Solutions de droit commun
Ces mesures s’adressent principalement au créancier en mal de paiement, plus qu’elles n’offrent de solutions pour les débiteurs.
L’arrêté-royal n°15 ne déroge pas en effet aux sanctions de droit commun, tels que le droit de rétention, la compensation ou l’exception d’inexécution.
Le droit de rétention permet au créancier de suspendre la restitution du bien remis par ou destiné à son débiteur tant que sa créance n’a pas été payée, à condition d’être certaine et exigible et que la détention du bien dans le chef du créancier soit légitime.
La compensation est réglée aux articles 1289 et suivants du Code civil. Il s’agit d’un mécanisme en vertu duquel les dettes de deux personnes débitrices l’une de l’autre s’eteignent à concurrence de la dette la moins élevée. (p.ex. relation en compte-courant)
L’exception d’inexéction permet quant à elle à une partie à un contrat de suspendre l’exécution de ses obligations, aussi longtemps que son cocontractant reste en défaut d’exécuter les siennes.
C. Solutions offertes par le livre XX du Code de droit économique
I. Désignation d’un médiateur d’entreprise (XX.36 CDE)
Lorsque le débiteur en fait la demande, le président du tribunal de l’entreprise peut désigner un médiateur d’entreprise, en vue de faciliter la réorganisation de tout ou partie de ses actifs. Cette demande ne doit pas nécessairement s’inscrire dans le cadre d’une procédure de réorganisation judiciaire.
Le président du tribunal ou de la chambre des entreprises en difficulté fixe la mission du médiateur, dans les limites de la demande du débiteur, sans que celle-ci puisse consister en un dessaisissement du débiteur de la gestion de l’entreprise.
Le plus souvent, la mission du médiateur sera d’agir comme intermédiaire entre le débiteur et les tiers, comme ses créanciers, par exemple afin de négocier un accord amiable ou d’obtenir leur accord sur un plan de réorganisation judiciaire (voy. infra).
II. L’accord amiable hors réorganisation judiciaire hors PRJ (XX.37 et XX.38 CDE)
L’accord amiable est un contrat entre le débiteur et ses créanciers permettant de mettre en place volontairement une stratégie permettant de redresser l’entreprise.
Cet accord doit être conclu avec au moins deux de ses créanciers (sauf si le débiteur n’a de dette qu’à l’égard d’un seul créancier), sans toutefois que les conditions applicables à chacun de ceux-ci doivent être identiques. Il est aussi possible pour le débiteur de négocier et conclure plusieurs accords amiables.
Le cas échant, le médiateur d’entreprise pourra intervenir afin de faciliter la conclusion d’accords à l’amiable.
A la demande des parties, l’accord pourra être homologué par le président du tribunal afin de lui conférer un caractère exécutoire.
III. La désignation d’un mandataire de justice (art. XX.30 CDE)
Lorsque des manquements graves et caractérisés du débiteur ou de l’un de ses organes menacent la continuité de l’entreprise en difficulté ou de ses activités économiques, tout intéressé peut demander la désignation d’un mandataire de justice, si cette mesure est de nature à préserver la continuité menacée.
Cette solution ne vise pas à déposséder le débiteur de la gestion de son entreprise mais bien à prendre, dans des cas graves, des mesures spécifiques permettant d’assurer sa continuité, comme par exemple soumettre l’accomplissement de certains actes à l’accord du mandataire, soumettre certaines décisions à un droit de veto, concilier des parties,…
Le cas échéant, la mission du mandataire de justice peut être poursuivie dans le cadre d’une procédure de réorganisation judiciaire.
Cette solution est ouverte, dans une certaine mesure aux créanciers.
IV. La désignation d’un administrateur provisoire (XX.31 CDE)
En cas de fautes graves et caractérisées du débiteur ou de l’un de ses organes, tout intéressé peut demander la désignation d’un administrateur provisoire qui se substituera au débiteur ou à l’organe en question.
Il a été reconnu que le fait de poursuivre une activité déficitaire, sans que ne soit prise aucune mesure concrète pour endiguer les pertes, puisse être constitutif d’une faute grave et caractérisée.
Contrairement au mandataire de justice visé au point précédent, l’administrateur provisoire doit nécessairement être nommé dans le cadre d’une procédure de réorganisation judiciaire et se substituera purement ou simplement au débiteur.
V. La désignation d’un administrateur provisoire (XX.32 CDE)
Lorsqu’il existe des indices graves, précis et concordants que les conditions de la faillite sont réunies, le président du tribunal peut dessaisir en tout ou en partie l’entreprise de la gestion de tout ou partie de ses actifs ou de ses activités, en désignant un administrateur provisoire.
Cette faculté permet au président du tribunal de désigner d’office un administrateur provisoire, par exemple après avoir été informé de la situation de l’entreprise par un tiers.
Les tiers intéressés peuvent également introduire une telle demande, mais avec le risque de devoir provisionner les frais de l’administrateur provisoire qui ne seront pas totalement couverts en cas d’insuffisance d’actifs.
VI. Introduction d’une procédure de réorganisation judiciaire (ci-après, « PRJ » – XX.39 et ss CDE)
La procédure de réorganisation judiciaire a pour but de préserver, sous contrôle judiciaire, la continuité de tout ou partie des actifs ou des activités de l’entreprise, au moyen de trois institutions :
- La conclusion d’un accord amiable avec deux ou plusieurs créanciers ;
- L’élaboration d’un plan de réorganisation emportant l’accord collectif des créanciers ;
- Le transfert sous autorité de justice, à un ou plusieurs tiers, tout ou partie de son entreprise ou de ses activités.
Dépôt de la requête
La possibilité de solliciter une PRJ est ouverte à toute entreprise, c’est-à-dire tant à une société, une personne physique exerçant une activité d’indépendant, qu’une ASBL, qui devra démontrer que la continuité de ses activités est menacée par l’accumulation de dettes.
L’introduction d’une PRJ est réalisée par le dépôt d’une requête, accompagnée de pièces comptables, au travers de laquelle le débiteur devra exposer les difficultés auxquelles il est confronté, identifier les créances existantes et décrire les mesures envisagées pour redresser sa situation.
Afin de faciliter la PRJ, l’ensemble des documents y relatifs sera consigné et centralisé sur le site web RegSol et consultable par toute personne disposant d’un intérêt légitime.
A partir du dépôt de la requête, l’entreprise ne pourra ni être déclarée en faillite, ni dissoute judiciairement. De plus, entre le dépôt de la requête et le jugement prononçant l’ouverture de la PRJ, sauf exception les biens meubles ou immeubles du débiteur ne pourront être réalisés à la suite de l’exercice d’une voie d’exécution, que l’action ou la voie d’exécution ait été introduite avant ou après le dépôt de la requête. N’est interdite dans ce cas que la « réalisation », soit la vente des biens en question, et non le fait de procéder à des saisies sur les biens du débiteur pour autant que ceux-ci ne fassent pas l’objet d’une vente forcée.
Effets de l’ouverture de la PRJ
Si la PRJ est déclarée ouverte, l’entreprise se verra octroyer un sursis dont la durée sera déterminée par le tribunal mais pour un maximum de six mois éventuellement prolongeable, au cours duquel :
- les créanciers sursitaires (c’est-à-dire ceux dont la créance est antérieure au dépôt de la requête), ne pourront faire l’objet de voie d’exécution ;
- L’entreprise ne pourra ni être déclarée en faillite, ni dissoute judiciairement ;
- Aucune saisie ne pourra être pratiquée afin d’obtenir paiement des créances sursitaires, sans préjudice du droit pour le créancier d’établir une sûreté légale ou conventionnelle.
Par contre, aucun sursis n’est octroyé au débiteur en ce qui concerne les dettes nées postérieurement au dépôt de la requête, dont il devra s’acquitter.
Conclusion d’un accord amiable dans le cadre de la PRJ (XX.64 à XX.67 CDE)
Le sursis, qui va permettre de réduire la pression exercée sur le débiteur, peut lui être profitable afin de négocier un accord amiable avec au moins deux de ses créanciers. Cet accord sera négocié sous la surveillance d’un juge délégué, chargé de veiller à l’évolution de la situation du débiteur et de faire rapport au tribunal.
Dans le cadre de la négociation d’un accord amiable, le débiteur peut aussi demander au tribunal que des délais de paiement raisonnables lui soient accordés, par exemple si ses créanciers refusent abusivement ses propositions.
Une fois conclu, l’accord sera homologué par le tribunal afin de lui conférer un caractère exécutoire, ce qui mettra aussi fin au sursis et clôturera la PRJ.
Élaboration d’un plan de réorganisation et accord collectif des créanciers (XX.67 et XX.83 CDE)
La procédure de l’accord collectif a pour but de permettre au débiteur d’obtenir l’accord des créanciers sur un plan de réorganisation. A cette fin, les créanciers seront avertis de cette procédure par le biais d’une notification, réalisée préférentiellement de manière électronique par le débiteur.
Cette notification devra notamment contenir le montant de la créance que le créancier pourra confirmer ou, s’il n’est pas d’accord, contester.
Au cours du sursis dont bénéficie le débiteur, il devra rédiger un plan de réorganisation, qui sera soumis au vote des créanciers. Il sera approuvé s’il a recueilli le vote favorable de la moitié des créanciers, dont les créances représentent la moitié des sommes dues en principal. Après son adoption, le plan sera homologué par le tribunal.
Suite à l’homologation du plan, le débiteur sera tenu de l’exécuter, ce qui, à terme, le libérera de ses dettes.
Transfert de l’entreprise sous autorité de justice (XX.84 à XX.96 CDE)
Le transfert d’entreprise peut être volontaire ou forcé. Le transfert d’entreprise forcé, pouvant être demandé par un créancier, fait toutefois l’objet du moratoire imposé par l’arrêté-royal n°15.
Le transfert d’entreprise permet à un ou plusieurs mandataires de justice désignés d’organiser le transfert de tout ou partie des activités du débiteur, permettant ainsi de conserver la valeur et la continuité de ses activités et de respecter les droits des créanciers et des travailleurs, objectifs que ne permet pas de rencontrer la faillite.
Si le transfert permet le maintien des activités et respecte le droit des créanciers, ce qui est fonction de la valeur de l’offre remise pour le transfert, alors le tribunal pourra l’autoriser. Les droits des travailleurs seront aussi pris en compte et compte tenu de l’arrêt Plessers rendu le 16 mai 2019 par la CJE, il existe à ce jour une incertitude quant à la faculté réservée au cessionnaire de choisir le personnel qu’il veut reprendre.
Si le transfert opère la réalisation de certains biens, la valeur en résultant pourra être répartie entre les créanciers selon un plan de répartition établi par le mandataire de justice.
Une fois le transfert réalisé, le mandataire sollicitera le tribunal afin qu’un jugement l’acte, clôturant ainsi la PRJ.
4. Quelques questions posées pendant le séminaire BECI du 2 juin 2020
I. Quel est le moment le plus opportun pour déposer une requête de PRJ ?
Afin d’analyser le moment le plus opportun pour déposer une requête en PRJ, l’impact de l’arrêté-royal n°15 doit nécessairement être pris en compte.
Ainsi, pour certains débiteurs, il pourrait être préférable d’attendre la fin du moratoire afin de déposer une requête, dans la mesure où cela permettra d’englober toutes les dettes accumulées au cours de cette période, permettant ainsi de bénéficier, le cas échéant, d’un abattement plus conséquent.
La situation doit toutefois être analysée au cas par cas, les difficultés d’un débiteur n’étant pas les mêmes que celles d’un autre.
II. Quels sont les facteurs devant être pris en compte afin de s’orienter vers une PRJ plutôt que vers une faillite ?
La PRJ est une procédure au cours de laquelle les créances existantes vont être gelées, afin de permettre au débiteur de se réorganiser pour ensuite poursuivre ses activités. Au cours de cette période où la situation de l’entreprise sera “figée”, il conviendra de l’assainir, notamment en concertation avec les professionnels du chiffre et les consultants de BECI, afin de lui assurer un futur viable à moyen et long termes.
Si la prise de mesures d’assainissement permet de se rendre compte de perspectives favorables, la PRJ se révèle alors opportune. Si malgré une restructuration, assurer la viabilité de l’entreprise est inenvisageable (impossibilité de réduire les coûts, de trouver d’autres fournisseurs ou partenaires, d’augmenter son chiffre d’affaires,…), l’entreprise doit alors être considérée en discontuinité et d’autres procédures, telle la faillite ou la liquidation, devront être préférées.
Afin de vérifier la pérénité de l’entreprise, il conviendra de prendre en compte l’ensemble des frais et éventualités possibles. Ainsi, nous rappelons que la procédure de PRJ a un coût et que celui-ci devra être nécessairement répercuté dans l’analyse réalisée pour avoir une vision objective de la situation.
III. Quels seraient les conseils prioritaires à donner aux entreprises en difficulté ?
Tout d’abord, de préserver les liquidités. Comme nous l’avons vu, le paiement de certaines créances, notamment celles due à l’Etat, peut être différé. Cela permettra de rassembler les liquidités pour les affecter de préférence au paiement des cocontractants. Il est important que les acteurs des diverses chaînes de distribution puissent assurer en priorité le paiement de leurs fournisseurs, à défaut de quoi toute la chaîne pourra en souffrir.
Ensuite, en cas de difficultés, il est essentiel d’établir un “cash plan”, le cas échéant avec l’aide de professionnels. Cela permettra d’obtenir une vision claire de la situation actuelle de l’entreprise et, partant, d’envisager les pespectives à venir, à court ou moyen terme. Si le futur de l’entreprise était menacé, il conviendrait alors de recourir aux conseils d’experts avisés afin de savoir quelles mesures prendre, tant du point de vue économique que juridique.
Enfin, rappelons l’importance de l’anticipation. Souvent, les entrepreneurs commettent la faute d’adopter une perspective trop optimiste lorsqu’ils rédigent les plans de restructuration. Il existe trop d’aléas pour se passer d’une marge de sécurité, surtout au vu de la situation actuelle. Il conviendra dès lors de se ménager, dans les différents accords, des abattements conséquents afin de faire face aux imprévus.
Bruxelles, 2 juin 2020.
Benoit Simpelaere Alexandre Hachez Victor Rouard
benoit.simpelaere@flinn.law alexandre.hachez@flinn.law victor.rouard@flinn.law
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