INADÉQUATION DE LA PRJ
Les crises successives ont remis l’accent sur le besoin d’une restructuration rapide et efficace des entreprises. Les opérations dites d’”asset deals” (trade sale, carve-outs), consistant à transférer tout ou partie des actifs d’une entreprise en difficulté vers une entreprise saine, constituent un outil essentiel à cet égard.
Dans tout scénario de continuité ou de discontinuité, on s’attend à ce que tous les actifs et ressources « pertinents » – et certainement exceptionnels – soient ramenés au plus vite dans la sphère économique: même les champions des réorganisations judiciaires doivent reconnaître que ces procédures (accords amiable et collectif, transfert sous autorité judiciaire) sont parfois sous-optimales et surtout coûteuses.
En outre, si les conditions d’une PRJ ne sont pas réunies, les administrateurs se retrouvent sur la corde raide : plus la « période suspecte » est avancée et donc la faillite imminente, plus les risques de critiques et même d’actions en responsabilité contre les administrateurs sont grands et ce, de la part des différentes parties prenantes : les créanciers (publics), les fournisseurs, y compris les banques, le personnel et enfin et surtout, le curateur.
FAILLITE SILENCIEUSE
Lorsqu’une entreprise est en état de cessation de paiement et que son crédit est ébranlé, elle doit déposer son bilan dans un délai d’un mois. Dans une faillite classique, le tribunal déclare immédiatement l’entreprise en faillite et le jugement de faillite est publié. Un curateur y est nommé, ainsi qu’un juge-commissaire pour superviser la procédure.
Depuis l’entrée en vigueur des articles XX.97/1 à XX.97/6 le 1er septembre 2023, le Code de droit économique permet à une société en état de faillite de se préparer à la faillite, en toute discrétion à savoir, sans publicité.
Une faillite silencieuse (également appelée « pre-pack », selon l’exemple anglo-saxon) est initiée par le dépôt d’une requête dans laquelle le débiteur démontre que cette méthode de préparation (1) facilitera la liquidation de l’entreprise en permettant de désintéresser au maximum l’ensemble des créanciers et (2) préservera l’emploi au mieux. La chambre du conseil examinera cette demande dans un délai de trois jours ouvrables. Si la demande est acceptée, le tribunal de l’entreprise désignera un curateur potentiel et un juge-commissaire potentiel pour une période maximale de trente (30) jours, prorogeable de 30 jours au maximum. En principe, ils agiront en tant que curateur et juge-commissaire dans le cas où la société serait effectivement déclarée en faillite. Pendant la procédure, aucun sursis n’est accordé et il reste possible pour un créancier de demander la faillite de la société . Le débiteur pourrait encore lui-même déposer le bilan, pendant la phase préparatoire.
L’avantage de cette procédure, par rapport à la faillite traditionnelle, est la maîtrise de la situation par le débiteur , le curateur potentiel se contentant d’examiner la faisabilité de l’objectif proposé par le débiteur. La faillite silencieuse permet donc au débiteur de préparer le transfert d’une partie ou de la totalité de ses actifs ou de ses activités, dans un court laps de temps avant la déclaration de faillite. Ce n’est qu’après la déclaration de faillite que le transfert aura effectivement lieu. Comme ce transfert est réalisé dans un contexte de continuité d’exploitation, cette pratique permet de maximiser le produit de la vente au profit des créanciers.
Cette nouvelle faillite silencieuse présente également d’autres avantages non négligeables :
- L’acquisition ne peut se faire par une partie « liée » aux actionnaires ou administrateurs existants.
- Le risque que le transfert convenu soit annulé à la demande du curateur est limité, étant donné que la préparation se sera déroulée en toute transparence et sous son contrôle et celui du juge-commissaire potentiel . En raison du mode de calcul des honoraires du curateur, ce dernier est lui aussi incité à réaliser un transfert valable après sa nomination.
- La Cour de Cassation, dans un arrêt du 19 janvier 2006, a défini la notion de liquidation de fait, lorsque les administrateurs d’une société procèdent effectivement à la liquidation, au mépris des règles de priorité entre créanciers. Le risque de responsabilité à cet égard est pratiquement éliminé par la faillite silencieuse.
- L’obligation de demander et de transférer les certificats fiscaux et de sécurité sociale au cessionnaire, sous peine de responsabilité solidaire des dettes du cédant, ne joue pas en cas de faillite.
- Les effets de la CCT 32bis en cas de transfert dans la continuité après une faillite sont limités ; seules l’ancienneté et les éventuelles CCT doivent être reprises. En outre, le repreneur peut choisir librement le personnel à engager.
LES CONSÉQUENCES D’UNE FAILLITE SILENCIEUSE, APRÈS LA FAILLITE PROPREMENT DITE
L’introduction de la faillite silencieuse dans le Code de droit économique répond à une demande expresse de la pratique. La manière dont ces articles ont été introduits est toutefois critiquable.
Pour rappel, la faillite silencieuse, dans laquelle un curateur potentiel et un juge-commissaire potentiel sont nommés, n’est qu’une phase préparatoire à la faillite proprement dite. Il s’agit de préparer une « transition de tout ou partie de ses actifs et activités« , transition que nous appellerons par commodité « accord ».
Cependant, le législateur a introduit les articles sur la faillite silencieuse sans adapter les autres articles de la loi sur les faillites classiques. Ainsi, il ne précise pas exactement comment l’accord conclu pendant la faillite silencieuse, c’est-à-dire avant la faillite proprement dite, doit également être mis en œuvre de manière effective. En effet, en principe, avant de procéder à la liquidation effective (et donc à la vente des actifs), le curateur doit attendre le premier procès-verbal de vérification des créances, généralement établi environ un mois après la faillite.
Il est possible d’y déroger et avec l’autorisation du juge-commissaire si les actifs sont « susceptibles de se détériorer ou de se déprécier rapidement » (article XX.142 du WER). Les administrateurs sont censés invoquer cette disposition.
Il reste également à voir comment les créanciers, en principe autorisés à déclarer leur créance au moins 30 jours après la faillite, et qui pourraient être ou non privilégiés par rapport aux actifs transférés, réagiront s’ils sont confrontés à un accord arrangé discrètement.
Enfin, si en principe le curateur potentiel de la faillite silencieuse est toujours désigné comme curateur de la faillite subséquente, il restera la possibilité – plutôt théorique – que le tribunal prenne une « décision contraire motivée » et désigne un autre curateur (article XX.97/5 CDE). Qu’en est-il alors de la capacité de ce nouveau curateur, qui n’était pas impliqué dans la faillite silencieuse, à ne pas exécuter les accords conclus avant la faillite sur la base de l’article XX.139 ? Le curateur potentiel peut-il même être considéré comme partie à cet accord ? Y a-t-il un accord contraignant ?
Il semble donc impossible de garantir à cent pour cent que l’accord rédigé pendant la faillite silencieuse sera effectivement mis en œuvre après la faillite proprement dite.
Nous nous attendons à ce que la jurisprudence et la doctrine apportent des réponses rapidement, même s’il aurait peut-être été préférable que le législateur prévoie l’homologation de l’accord lorsque la faillite classique est prononcée par le tribunal, après la faillite silencieuse préalable. Néanmoins, la faillite silencieuse est accueillie avec enthousiasme par les praticiens de l’insolvabilité et nous pensons que le transfert d’actifs dans le cadre de la faillite silencieuse sera certainement une piste intéressante à considérer dans les mois à venir, malgré les questions en suspens.
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